Nahmanide
Avec Nahmanide, nous nous trouvons à un moment clefs de l'histoire de la tension entre judaïsme et christianisme. Un juif converti au christianisme, le fr. Paul, pense pouvoir convaincre les juifs de la messianité de Jésus à partir des textes juifs eux-mêmes, à partir du Talmud. Un débat oratoire est donc organisé confrontant un maître juif: Nahmanide et le fr. Paul devant le Roi, les dominicains et le peuple. Cette joute oratoire n'est pas la seule du genre mais elle a une particularité: c'est le maître juif qui l'a remportée en démontrant nettement que le Messie du Talmud ne peut être le même que le Messie chrétien. En cette terrible époque d'inquisition, une si flamboyante victoire eue de funestes conséquences: le Talmud désormais jugé dangereux pour la foi fut traqué et brulé.
Dès le premier jour de débat, Nahmanide situe bien le cœur du différent: L'origine du procès et de la controverse entre les juifs et les chrétiens réside dans votre façon de concevoir l'essence de la divinité, qui est pour nous chose particulièrement douloureuse. (...) ce dont vous avez foi - et qui est l'essence de votre foi - le bon sens ne saurait l'accepter; la nature ne le permet pas et jamais les prophètes n'ont dit pareille chose! Il explique ensuite combien l'affirmation de l'incarnation, d'un Dieu qui prenne chair est intolérable. Il affirme ensuite qu'il est inutile de discuter des détails en étant si différent sur le fond, mais à la demande du roi, il poursuit tout de même.
- Crois-tu, repris le frère Paul, que le Messie est venu?
- Non, dis-je, je crois et je sais qu'il n'est point venu. Jamais il n'y eut au monde un homme qui déclara, ou au sujet duquel on déclara, qu'il était le Messie, excepté Jésus. Il m'est impossible de croire en sa messianité car la prophétie annonce au sujet du Messie: "Il dominera de la mer à la mer et du fleuve aux confins de la terre" (Ps 72, 8) Or, Jésus n'eut absolument pas de règne, au contraire, il fut persécuté par ses ennemis et dut se cacher d'eux; à la fin, il tomba entre leurs mains et ne put même pas préserver sa propre vie. Comment aurait-il pue sauver sa propre vie?
C'est encore sur le thème de la royauté du Messie que se joue une grand part de l'incompatibilité des notions juive et chrétienne. On n'a l'impression de ne pas être si loin des apôtres qui attendaient encore l'instauration de la royauté. A nos yeux chrétiens, cette importance mise sur la royauté peut sembler surprenante, mais si on se met un instant dans la peau d'un peuple persécuté... ! Et il faut songer qu'a la même époque, le christianisme vivait bien dans un empire chrétien ayant largement établie sur ces territoires un royaume tout humain!
Le Messie aura à rassembler les bannis d'Israël et les dispersés de Juda: douze tribus en tout. Tandis que Jésus, votre Messie, n'a pas réuni un seul d'entre eux et n'a même pas connu l'ère de l'Exil. Le Messie devra construire le Temple à Jérusalem, mais Jésus n'en fit pas la construction, au contraire, après lui eut lieu sa démolition. Le Messie régnera sur tous les peuples, tandis que lui ne parvint même pas à se gouverner lui-même. 1
Voici commenté un passage de Maïmonide. Le Messie en tant que Roi aura comment tâche de ressembler le peuple et de rebâtir le Temple. Et Nahmanide fait remarquer que l'exil n'était pas commencer à l'époque de Jésus ni le Temple détruit! Nous avons là clairement indiqué que la notion précise du Messie juif est postérieure à Jésus-Christ! On voit également, venant du texte de Maïmonide, une autre évolution, il a recueilli la notion apocalyptique des mystiques ou le temple devait descendre du ciel, en une notion rationnellement acceptable: il y aura bien avènement d'un nouveau Temple mais il sera construit par le Messie. Finalement le règne du Messie s'étendra sur tous les peuples, c'est le Messie universel et pas seulement le Messie d'Israël. C'est important.
Voyons finalement un argument au sujet de la généalogie de Jésus:
En vérité, le Messie qui viendra sera homme absolument, fils d'un homme et d'une femme, issu d'un accouplement entre eux, comme je le suis moi-même. Il sera de la lignée de David et de sa descendance, ainsi qu'il est écrit: " Un rameau sortira du tronc de Jessé"(Es. 11, 1) (...) S'il était l'Esprit de Dieu, ainsi que vous le prétendez, il ne pourrait pas provenir du "tronc de Jessé"; même s'il s'accrochait aux entrailles d'une femme qui est du "tronc de Jessé", il n'hériterait pas du royaume, car ni les filles ni leur progéniture ne peuvent, selon la Torah, hériter à la place d'un enfant mâle quand il y en a, et David a toujours eu une descendance d'enfants mâles. 2
1 Nahmanide, La dispute de Barcelone, Verdier, 1984
2 Ibid