Christianisme

Jésus-Christ est sans conteste le centre du christianisme. Le nom même le dit. On ne saurait renoncer à l'identité Christique de Jésus et demeurer 'chrétien'

Voyons plus en profondeur qui est donc Jésus-Christ.

Chemin, Vérité et Vie1, Il est, selon la foi, fort prétentieuse il faut l'admettre, du christianisme, à la fois homme et Dieu. Paul nous précise qu'il est le médiateur unique et aussitôt nous précise qu'il est homme lui-même. C'est justement en tant qu'homme qu'il est médiateur. En tant qu'en lui il y a rencontre entre l'humain et le divin. Le mystère même de l'Incarnation contient une tension : Le Dieu innommable, inaccessible devient accessible, porte un nom, peu être vue et touché... Mais est-ce Dieu même que l'on touche? Non Bien sûr! Dieu reste Dieu, il reste inaccessible en son essence. Cependant, en Jésus-Christ, une personne divine assume la nature humaine. En lui, les deux natures sont présentes: nature divine et nature humaine.

Les développements de la théologie catholique, en leurs engrenages rationnels veillerons justement bien scrupuleusement à ne pas confondre les deux natures comme le fera parfois la religiosité populaire. C'est d'ailleurs dans la suite même du mystère de l'Incarnation que se situe le développement théologique. Alors que le judaïsme a une approche de Dieu principalement du coté de sa transcendance innommable, pour le christianisme, Dieu se fait voir et connaître. Il est donc logique que les chrétiens développent dans le sens de la révélation qui est la leur et s'applique à mieux connaître, mieux distinguer en développant toutes les potentialités de celui qui s'est fait connaître à eux d'une manière spécifiquement concrète. En effet, l'événement Jésus-Christ, ! de par son caractère historique est nécessairement conditionné par le temps et l'espace, et donc irrémédiablement particulier. 2

Nous avons donc en Jésus-Christ une double nature, sans confusion. Cela a de nombreuses conséquences comme nous le dits Claude Geffré:

Nous confessons donc que la plénitude de Dieu habite en Jésus de Nazareth. Mais nous devons prendre au sérieux la contingence historique de l'humanité de Jésus. Autrement dit, nous ne pouvons pas identifier l'élément historique et contingent de Jésus et son élément christique et divin. Nous devons maintenir la tension entre l'identification de Dieu en Jésus et l'identification propre à Dieu. Nous sommes toujours renvoyés en effet à un Dieu plus grand qui échappe à toute identification. 3

Cette humanité, selon sa nature même, est contingente, dans la particularité d'une humanité précises, s'inscrivant à une époque, dans une culture. Cela fait partie de la grandeur et du paradoxe de l'incarnation que l'Absolu rencontre le relatif, que l'illimité se manifeste à l'intérieur du limité.

De ce fait, c'est dans la grandeur et la logique de l'incarnation même que de comporter la double présence et il faut distinguer dans le Christ la nature humaine contingente et la divinité absolue. Le christianisme doit garder un équilibre instable entre deux déséquilibres, entre deux idolâtries possibles : entre le messianisme fonctionnel et le messianisme personnalisé. 4 C'est pourquoi la divinité du Christ ne permet pas d'absolutiser l'élément Jésus de Nazareth dans sa particularité historique.

Il n'y a de révélation qu'advenant dans l'histoire. Or l'histoire est par définition le lieu de la particularité. Si donc nous tenons qu'en Jésus s'est accomplie la révélation, nous tenons très exactement, et du même coup, que c'est effectivement dans l'ensemble des déterminations très concrètes qui sont celles de la figure et du destin historique de Jésus, que sont à reconnaître la prise de paroles et l'intervention active de Celui que les hommes nomment Dieu. Il faut par conséquent que la révélation, là où elle advient, se propose sous le signe de la particularité. 5

De plus, du fait même de cette particularité historique, Jésus de Nazareth ne peut pas représenter en lui-même tous les aspects du mystère Christique. La réalité du Christ dépasse ce qui est contenue dans l'événement Jésus de Nazareth. Jésus n'est pas tout Dieu! Il y a le Père, il y a l'Esprit, Jésus-Christ, même s'il est réellement une personne divine, n'est pas tout Dieu. De plus, pour nous révéler le mystère de la Rédemption, la divinité assume la nature humaine. Il l'assume en la respectant, donc celle-ci conserve ses limitations, ses particularités, ces éléments spécifiques à la nature humaine ne deviennent pas divins du fait que le Verbe assume cette nature humaine. Jésus-Christ a deux natures, oui, mais on ne doit pas confondre ce qui est de chac! une d'elles. L'aspect divin ne permet pas d'absolutiser l'aspect humain.

Il ressort de tous cela que du fait même de l'Incarnation, le Christianisme ne peut pas être le détenteur absolu du chemin de la Rédemption. Ainsi, l'identification chrétienne de Dieu en Jésus n'est pas exclusive d'autres expériences religieuses qui identifient autrement la Réalité dernière de l'univers. 6 Le christianisme est lié à la contingence de Jésus de Nazareth. La réalité du christ étant plus vaste que sa manifestation en Jésus de Nazareth et dans le christianisme; le dessein salvifique de Dieu étant universel on peut déduire qu'il doit y avoir d'autres manifestations et d'autres traditions qui contienne des valeurs christiques quoique qu'étant absentes ou différentes du christianisme. Il n'y a qu'un médiateur de Salut, le Christ, Jésus-Christ, mais sa r&e! acute;alité ne se limite pas a ce que nous, chrétiens, en comprenons.

Cette position est étonnante mais se trouve pourtant incluse en potentialité dans la tradition:

Cette avancée théologique est cohérente avec l'enseignement le plus traditionnel sur la volonté universelle de salut de Dieu. Elle explicite les intuitions les plus originales de Vatican II et elle réactualise la très ancienne doctrine des Pères de l'Église sur la présence des semences du Verbe tout au long de l'histoire humaine. Et elle nous invite à ne pas identifier trop vite l'universalité du Christ lui-même et l'universalité du christianisme. 7

Poursuivons notre étude du Christ selon le plan qu'il nous a lui-même indiqué: Chemin, vérité et vie.

Chemin

Le chemin vers Dieu passe la le projet de l'Alliance. L'accomplissement de celle-ci nécessite la participation de du divin et de l'humain. Voici ou l'incarnation devient intéressante: en Jésus-Christ, en effet, par ce mystère infini de l'Incarnation, se réalise l'accomplissement de l'Alliance.

Selon Hans Urs Von Balthasar, Dieu avait un projet d'Amour avec l'humanité. Dieu est Amour et il a voulu partager son amour mais pour que ce projet s'accomplisse, il avait besoin d'une réponse, d'une acceptation de l'humanité a son projet d'amour. L'homme a été crée libre, a son image, car la liberté est nécessaire pour pouvoir dire "oui" et aimer. Pourtant l'humanité n'arrive pas, seul, à faire cette réponse attendue de Dieu. Elle est entravée par le péché. En Jésus-Christ, l'humanité assumé peut dire ce "oui" primordial et compléter le mouvement d'Amour venant de Dieu. Jésus, par la Rédemption, délivre l'humanité du lien qui l'entravait. Maintenant, tous peuvent répondre à l'amour de Dieu a sa suite.

Mais alors, Est-ce que, en Jésus-Christ, Dieu aurait donné la réponse "à la place" de l'humanité? En une humanité assumée par le divin ou la volonté était tout ordonnée aux vouloirs divins? C'est une question intéressante à creuser. Il me semble que la réponse est justement dans le chemin!

Jésus-Christ à ouvert le chemin! Notre participation au projet de l'alliance demeure essentielle, nous avons à compléter en notre chaire ce qui manque à la passion du Christ. 8 N'oublions pas le contexte étymologique du mot "passion" qui rejoint tout ce qui est de l'ordre 'subit', 'passif', donc du domaine de la création muable, alors que Dieu est Immuable. Il nous reste à accomplir dans notre humanité même toute la part qui lui revient dans le projet de l'Alliance, Jésus à ouvert le chemin comme tête du corps mystique mais maintenant il nous a laissé laisser la place! Il est l'unique médiateur du salut mais l'histoire n'est pas terminée. Jésus nous a libérés de nos entraves, il nous a ouvert la voie et indiqués le chemin: à nous maintenant de le suivre, complétons son œuvre... et il reviendra, ne ! l'oublions pas!

Vérité

Jésus-Christ est la Vérité. Voilà bien un concept qui a grand besoin d'être approfondie. Qu'est-ce que la vérité? Ici, la vérité nous est présenté comme une personne. Nous sommes donc très loin du concept philosophique de vérité qui fut à la base de la théologie traditionnelle. En ce cas, la vérité est absolue. C'est noir ou c'est blanc, vraie ou faux... donc si une proposition est établie comme vraie, une autre proposition qui lui est logiquement contradictoire sera nécessairement fausse. De cette notion de vérité est sortie tout un ensemble de condamnation des autres concepts religieux, tout particulièrement au sujet de Jésus comme Messie. Ce système de pensée ne peut pas reconnaître de vérités différentes.

Le texte de l'évangile nous montre que Jésus nous indique une voie différente: il se désigne lui-même, personne, comme étant la vérité. Il ne s'agit pas d'une notion de vérité philosophique. C'est en tant que personne, en tant que divin mais aussi humain, que Jésus se désigne comme vérité. L'être humain est relatif et relationnel. La vérité qu'il nous indique doit l'être aussi. Il s'agira donc d'une vérité qui n'est pas nécessairement exclusive ou inclusive de toute autre vérité. Elle est relative à un particularisme historique. La Révélation comme événement de la Parole de Dieu en Jésus Christ est définitive et indépassable, mais comme contenu de vérité, elle est nécessairement historique et donc limitée. 9 Ai! nsi donc, la vérité du christianisme est toute relative à la part de vérité contenue dans d'autres traditions religieuses. Cela d'autant plus que, comme nous l'avons dit, le mystère christique dépasse le christianisme.

Le témoin de l'Évangile du Christ est aussi celui qui reçoit et qui peut redécouvrir avec des yeux neufs sa propre identité tandis qu'il est provoqué par les semences de vérité dont témoignent les autres religions. 10

La vérité du christianisme est donc une vérité a la fois incomplète et relative et a ce titre, elle a besoin de la rencontre des autres pour approfondir sa vérité dans le partage, selon le mot de Rosenweig, l'essence de la vérité est d'être en partage. Nous retrouvons encore la notion de l'Alliance et de l'altérité fondamentale. Si la personne humaine a besoin de l'autre pour être pleinement humaine, pour se découvrir et s'accomplir, si le chemin de cette rencontre est essentiel dans le chemin de l'Alliance, il est également vrai que le christianisme a besoin de la rencontre de l'autre, comme tradition religieuse, pour approfondir sa propre particularité.

Il ne s'agit pas seulement d'un impératif moral au nom de la tolérance. Il s'agit de la loi même de notre être chrétien qui loin d'être une totalité close et sûre d'elle-même a besoin de la vérité d'autrui pour approfondir sa propre particularité. Non seulement l'humanité est plurielle, mais les voies vers Dieu sont multiples et il faut faire l'apprentissage de nos différences pour que notre témoignage rendu à la vérité ne devienne pas une idolâtrie. 11

Vie

C'est encore dans et par un grand paradoxe que Jésus-Christ est la Vie. En effet, c'est en passant par la mort qu'il accomplit la Rédemption et ressuscite en nous apportant la vie. C'est par la mort-résurection qu'il accomplit son œuvre christique. Jésus de Nazareth meurt à sa particularité humaine concrète et renaît en figure de Christ universel.

Jésus meurt à sa particularité juive pour renaître par la résurrection en figure d'universalité concrète. Le Christ ressuscité libère la personne de Jésus d'un particularisme qui l'aurait fait la propriété d'un seul groupe particulier. A la lumière du mystère de la croix, nous comprenons mieux que le christianisme loin d'être une totalité close se définit en termes de relation, de dialogue et même de manque. Il est permis ainsi de le définir comme une religion de l'altérité. 12

C'est par la mort que vient la vie, par la croix que vient la gloire. C'est avec l'éclatement des limitations de sa nature humaine que le Christ nous apparaît dans toute sa dimension universelle, mais alors il est passé à une dimension d'absence. Il n'est plus concrètement là justement parce qu'il dépasse dorénavant les limitations socio-historique d'une humanité particulière. En se tournant même de la mort-résurection se joue la Rédemption son universalité. Le Christ nous donne la vie et nous échappe! C'est devant un tombeau vide que le christianisme reçoit la vie! Ce sera également dans la prise de conscience de son manque que le christianisme pourra trouver la voie de la continuation de sa vocation:

Je serai tenté de dire qu'un christianisme qui est affronté à des cultures et des religions différentes et qui ne témoignerait pas d'un certain manque ne rencontrera pas l'altérité de ces cultures et de ces religions et sera infidèle à sa vocation universelle. 13

 

 

1 Jean 14,6

2 J. Dupuis, Le pluralisme religieux comme question théologique. In 'la vie spirituelle' no 724

3 C. Geffré, Pour une théologie de la différence. Identité, altérité, dialogue; journées romaines dominicaines (juillet 2001) dans www.op.org

4 Jean-Claude Eslin, Approche du Messie chrétien le Fils de l'homme, In: Figures du Messie, In Press, 1997

5 J. Doré, in Théologie et choc des cultures, éditions du cerfs, no 121, 1984

6 C. Geffré, Pour une théologie de la différence.

7 Ibid

8 Col 1, 24

9 C. Geffré, Pour une théologie de la différence

10 Ibid

11 Ibid

12 Ibid

13 Ibid