Conclusion:

Fécondité de l'Alliance

Au bout de ce périple, qu'avons nous pu constater de la tension positive entre judaïsme et christianisme?

Le parcours parmi les textes historiques a permit de voir une influence réciproque. Cette simple influence me semble n'être que la pointe de l'Iceberg. Nous avons pu voir des éléments de la conception du Messie, comme nous le montre, avant notre ère, le Livre d'Enoch avec le Messie apparaissants sous la forme adamique et amenant tous a cette forme, montrant ainsi déjà bien ancré la notion du Messie comme accomplissement de l'Adam et amenant toute l'humanité a sa perfection, ce qui restera la base de la notion de messianisme dans le judaïsme mais qui sera aussi reprise par Paul. De même, la plupart des éléments des traditions biblique et orales ont été reprise par les évangélistes dans leur présentation de Jésus-Christ. Leur 'dossier de presse' est bien monté et démontre que Jésus remplis bien les exigences que le judaïs! me avait à cette époque envers le Messie attendu.

Cependant, la figure de Jésus-Christ ne se contente pas de remplir ces attentes, elle apporte également des éléments nouveaux qui entraîneront son rejet de la plus grande partie du judaïsme. Ainsi les affirmations de Paul sur l'unicité du médiateur et de son nom marquerons alors un tournant dans les notions respectives de messianisme juif et de messianisme chrétien.

La notion du Messie demeurera très varié, plutôt flou et se dédoublera même en deux Messies dans le judaïsme durant toute la période talmudique, puis Maïmonide tentera de synthétiser ces divergences et établira des critères de messianité lesquelles seront nettement influencées par sa réaction face au christianisme. Ainsi la personnalité même de Jésus-Christ l'amènera à approfondir ce qu'il en est du Messie juif mettant en lumière un aspect marquant du messianisme juif: son impersonnalité, élément qui ressort aussi d'autres auteurs.

La dispute de Barcelone marquera un autre point de rencontre fort (quoique négatif) entre les doctrines juives et chrétiennes. Nahmanide y remportera la victoire dans le débat théologique publique organisé, démontrant par ses réponses que la figure messianique du Talmud ne peut pas s'identifier avec Jésus-Christ. L'expérience de ce débat entraînera cependant des durcissements et une méfiance accrue les uns face aux autres.

À la même époque, Thomas d'Aquin donne à la théologie chrétienne un cadre et un souffle qui la portera durant quelques siècles. Il est frappant de constater que sa présentation du christ suit l'ordre des exigences messianiques exposées par Maïmonide. Thomas semble fort consciencieusement s'appliquer à démontrer que le Christ remplis fort bien ces attentes et au-delà. Mais surtout, c'est lui qui précisera le concept des personnes divines dans la théologie chrétienne, hors c'est justement cette notion de 'personne' qui demeurera un des points les plus marquant de la différentiation des notions juives et chrétiennes sur le Messie.

De part et d'autres, les penseurs juifs et chrétiens semblent s'être constamment renvoyés la balle précisant toujours plus leur jeu.

Jeu précisé et creusé, chacun ayant reçu une révélation présentant un point de vue donné sur la réalité divine. La compréhension parfaite du divin est impossible à l'esprit humain, nous ne pouvons en comprendre que certains aspects à la foi. Ainsi, le judaïsme à développé, entre-autre, l'aspect innommable de Dieu. Cette vision poussée dans ses plus profonds retranchements aura mise en lumière des trésors sur le rôle de l'humain, sa responsabilité puisque Dieu, qui ne peut être vue, s'est retiré et a fait place à l'humanité. Tout cela va chercher de très authentiques éléments sur la compréhension de l'homme, sur la morale, sur la vie spirituelle, qu'il aurait été impossible de trouver ainsi à partir du christianisme.

Le christianisme lui, part de la vision d'un autre aspect de Dieu: sa proximité et la profondeur de la relation qu'Il a établit avec l'humanité allant jusqu'à l'incarnation. L'approfondissement des potentialités de cette révélation amènera les chrétiens à développer une attitude caritative spécifique, allant vers l'autre, tout comme une tradition spirituelle basée sur la relation interpersonnelle rendu concrètement possible en la proximité d'un Dieu fait homme. La théologie pour sa part développera des éléments sur la dignité de la personne et sur la relation en Dieu Amour qui vont, elles aussi, rejoindre d'authentique fondements humains et spirituels qui n'auraient puent être trouvés dans le judaïsme seul.

Maintenant si l'on regarde les développements contemporains, on ne peut que remarquer l'admirable chemin qui est parcouru. De plus on découvre dans les fondements même des deux traditions des bases étonnements semblables! Finalement, les deux traditions se sont développées autour des notions d'accomplissement de l'humanité, de participation à l'Alliance, de la liberté, de l'amour, de l'altérité, de la double participation Divin-humain. On découvre un cœur, une source, d'une incroyable force qui insuffle souffle et vie à l'une comme à l'autre tradition. Cependant, les deux traditions ont, dans le développement de la révélation, des figures de Messies très différentes et même incompatibles. Doit-on voir les deux comme des opposants devant se vaincre l'un l'autre... ou comme devant se révéler l'un l'autre? Il me semble que c'! est cette dernière proposition qui est bonne. Il faut aller jusqu'au bout de la différence de l'Autre pour découvrir avec des yeux neufs sa propre différence. 1 La différence de l'autre, plutôt que d'être une menace, est une 'aide face à soi', une forme de l'altérité fondamentale qui nous est nécessaire pour pouvoir nous accomplir. La rencontre de l'autre dans sa différence nous amène à mieux découvrir qui nous somme, nos limites et notre particularisme. Et si les regards sont différents de part et d'autre, ne serait-ce pas pour nous permettre de mieux discerner l'objectif dans le point de convergence de ces différents regards? Ainsi la différence n'est plus un obstacle, elle est une aide et trouve même une place en elle-même dans le dessein de salut de Dieu.

Il s'agit en effet de se demander si notre expérience historique d'un pluralisme religieux de fait ne nous conduit pas à reconnaître un pluralisme religieux de principe qui correspondrait à un mystérieux vouloir de Dieu. Cette perspective audacieuse suscite des résistances car elle semble conduire à relativiser l'histoire du salut qui commence avec Abraham et qui trouve son achèvement en Jésus-Christ, l'unique médiateur ente Dieu et les hommes. Mais nous savons bien que c'est toute l'histoire humaine depuis les origines qui est une histoire du salut. Ainsi, le pluralisme religieux n'est pas uniquement le résultat de l'aveuglement coupable des hommes et il ne représente pas une phase historique provisoire qui sera progressivement dépassée grâce au succès de la mission de l'Église. Il peut être l'expression de la volonté même de Dieu qui a ! besoin de la diversité des cultures et des religions pour mieux manifester les richesses de la plénitude de vérité qui coïncide avec son mystère insondable. 2

C'est l'aspect de la double participation divine et humaine dans le projet qui me semble la plus fascinante dans cette étude des différentiations de nos conceptions respective. En elle se trouve probablement le point le plus crucial de la question. Mais encore là, la confrontation du dialogue amène chacun à préciser son identité, ainsi, la personnalité de Jésus est maintenant, à la lumière du dialogue, comprise avec une nuance nouvelle qui loin de la diminuer ne fait que rehausser encore plus la grandeur de l'Incarnation. En disant que l'humanité de Jésus ne doit pas être absolutisé, on découvre que l'un des points qui semblaient totalement contradictoire entre nos deux traditions étaient finalement plutôt une occasion de mieux se découvrir. La fécondité de l'altérité continue.

Voyons, pour nous préparer à conclure, un dernier texte... d'un chrétien qui demeure juif et tire toute les potentialités de sa formation pharisienne:

Il n'y a qu'un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous. organisant ainsi les saints pour l'œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ.

Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l'imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l'erreur. Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ, dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l'actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité.

Notons que nous voyons ici Paul parler de la plénitude du christ dans un devenir. Il parle tout à fait, ici, le langage de la tradition juive de l'humanité à accomplir. C'est dans ce travail d'accomplissement que nous devons tous travailler ensemble, dans la réalisation de l'Alliance, dans la préparation de la plénitude du Messie!

Mais alors, puisqu'on découvre que nos notions respectives du Messie et du Christ ne sont pas si éloigné, alors, ne devrions-nous pas faire le pas et les unifier? Surtout pas! Le messianisme et la christologie demeurent profondément différent. Conservons nos différenciations! Elles sont la condition pour vivre l'altérité, pour vivre entre-nous dans le mouvement de l'Alliance. Par contre, si messianisme et christologie sont fondamentalement différent, par contre Le Messie, le Christ auxquels ils renvoient tous deux, n'est-il pas le même? Là, il faut une réponse plus nuancée! Le médiateur du salut, dans sa réalité, est unique pour toute l'humanité, nous sommes tous d'accord sur cela. Par contre ce que, en tant qu'humain, nous pouvons en comprendre et en percevoir sera toujours limité.

Toutes les explications venant d'en bas, c'est-à-dire qui se fondent sur des données purement humaines, sont vouées à l'échec, car elles ne peuvent jamais offrir que des aspects particuliers de la figure du Christ, en négligeant les autres. 3

De ce fait, nos figures de ce médiateur sont différentes, au plan humain elles ne peuvent être fondues, mais elles représentent toutes deux une direction ou porter notre regard, et la vérité se trouve dans le point de convergence, au-delà des capacités de notre regard actuel. Mais travaillons tous à cet accomplissement et nous nous en rapprocherons immanquablement.

 

 

1 C. Geffré, Pour une théologie de la différence

2 Ibid

3 H.U.V. Balthasar, Épilogue, édition Brepols, 1996