Évangile
Commençons par les paroles même de Jésus: Il est inutile de refaire ici la démonstration d'un fait : Jésus ne s'est jamais appelé lui-même Messie. La recherche exégétique de ces vingt dernières années a clairement fait apparaître que Jésus ne s'applique aucune des désignations messianiques reçues.1 La définition qu'il donne de lui-même demeure dans un flou volontaire tout en ambiguïté. En cela, remarquons du moins qu'il se montre bien juif, répondant par des questions et qu'il porte en lui toute la richesse des thèses plurielles sur le Messie!
Par contre, La thèse prévaut aujourd'hui que le Christ/Messie est révélé sans équivoque par Jésus lui-même, dans les faits.2 Tout son agir, son attitude, son enseignement est bien porteur d'un message d'accomplissement:
Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. (Lc 4, 21)
N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes: Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. (Mat 5, 17)
tout m'a été remis par mon Père (mat 11, 27)
Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passerons point. (Mat 24, 35)
Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandue pour une multitude en rémission de péchés. (Mat 26, 28)
Oui, Dieu a tant aimé le monde qu'il a envoyé son fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. ( Jn 3, 16)
Tes péchés te sont remis ( Lc 5, 20).
Par cela, il prend position et témoigne d'une notion de messianisme qui s'avère différente de celle de l'attente juive bien qu'elle soit, selon sa propre affirmation, conforme à l'annonce des Écritures. Jésus se présente comme un Novum, un événement à reconnaître comme tel, dont on ne peut méconnaître la nouveauté. En Jésus il y a rupture par rapport au passé autant que continuité, c'est un " commencement". Ainsi par rapport au messianisme juif, le messianisme chrétien se présente comme un messianisme particulier, modifié, qui a donné lieu au christianisme, qui en fait même un nom propre : Jésus-Christ.3
Dans cette prise de position, Jésus introduit des éléments nouveaux à la notion de messianisme: une nouvelle notion de temps, le royaume est proche, le temps presse, c'est aujourd'hui que cela se passe. Il ne se situe plus dans l'attente du Messie mais dans l'accomplissement. À partir de sa résurrection, la réalité essentielle des choses est changé, il y a une rupture dans le temps, la Rédemption est accomplie. Il ne se présente pas essentiellement comme fils de David, bien que sa généalogie en fasse foi (il s'agit alors des démonstrations des évangélistes et non des paroles de Jésus même). Il réunit les deux rôles de prêtre ( de son propre sacrifice) et de roi (du royaume des cieux). Il refuse d'avoir une action politique. Il se présente plus essentiellement comme ayant une relation de fils avec Dieu, relation s! i profonde que : Qui me voit, voit le Père. Il accomplit son œuvre, la Rédemption, par la mort et la résurrection.
Passons maintenant aux explications des évangélistes. La façon dont les quatre évangélistes nous présente Jésus comme Messie est très révélatrice de leur attente. Ils cherchent vraiment à démontrer combien Jésus-Christ correspond à l'attente juive, leur but est apologétique. De ce fait même, ils s'arrêtent moins sur la démonstration de ce qui est différent de cette attente. A la rigueur, on peut se demander dans quelle mesure ils l'ont compris, en tout cas, leur compréhension a été postérieure à l'événement même.
Les disciples de Jésus, après sa mort, avaient pensé s'être trompé car il l'avait jugé Messie trop tôt! C'est par la résurrection qu'il devient Messie, c'est en vainquant la mort qu'il accomplit la tâche messianique. Il n'y a pourtant rien qui soit changé à vue humaine. Les attentes temporelles d'une réussite guerrière ou politique reste en suspend tout comme celle d'un avènement apocalyptique d'un nouveau monde. Même si la foi en leur maître s'est raffermie, les disciples n'en ont pas moins du mal à le suivre en cela, juste avant l'Ascension ils lui demandent encore: Seigneur, est-ce maintenant que tu vas restaurer la royauté en Israël?4 Jésus est bien roi, mais il nous a dit lui-même que son royaume n'est pas de ce monde. Nous avons encore ici une coupure nette avec la tradition juive, tout en respecta! nt le texte des prophéties mais pris dans un autre niveau de compréhension.
Les apôtres reprennent donc les prophéties bibliques et les comprennent à rebours à la lumière de l'événement de la résurrection selon l'exemple qui leur est donné par jésus lui-même: Et commençant par Moïse et parcourant les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. ( Lc 24, 27)Ils abordent ainsi le texte biblique avec un regard différent. Le messianisme chrétien est un messianisme "fermé" et donne lieu à un type particulier de littérature : on cherche dans les Écritures des testimonia, des lieux-témoins qui éclairent un événement. Dans la façon de comprendre le fait Jésus des premiers chrétiens, l'événement est premier, le témoignage sur l'événement est premier, la compréhension! de l'événement est seconde : c'est pour éclairer un présent énigmatique, quoique reçu, qu'on relit les prophètes.5 Ceci inaugure une toute nouvelle façon de lire le texte biblique dans une perspective ou elle se trouve déjà accomplie.
On ne peut terminer sans aborder, très brièvement, Paul. Parfois appelé le premier théologien, il a, en une réflexion très précise et rationnelle, fait germer les potentialités contenues dans la vie et les paroles de Jésus et dans la révélation qu'il en a eu sur le chemin de Damas. La rapidité du développement de pensé qu'il apporte fait parfois pensé qu'il aurait 'inventé' cette doctrine, mais une étude approfondie permets d'en trouver les sources et d'en suivre la logique. Voyons quelques-unes de ces phrases concises et profondes:
Comme en effet, la désobéissance d'un seul la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste. (Rm 5, 19)
Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. (Cor, 15, 20)
Il est l'Image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses ( Col, 1, 15-16)
Car la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s'est manifesté (Tite, 2, 11)
1 Michèle Jarton, La divinité du Messie dans les Évangiles et chez les Pères ou la figure du Fils, In: Figures du Messie, In Press, 1997
2 Ibid.
3 Jean-Claude Eslin, Approche du Messie chrétien le Fils de l'homme, In: Figures du Messie, In Press, 1997
4 Ac 1, 6
5 Jean-Claude Eslin, Approche du Messie chrétien le Fils de l'homme, In: Figures du Messie, In Press, 1997