Talmud

Revenons à la notion juive du Messie qui va se préciser justement à cette époque. C'est à la jonction des temps bibliques et des temps post-bibliques, c'est à dire à l'orée des temps talmudiques, dans la période qui suit le premier retour d'exil avec Ezra (en -586), que les idées messianiques se développent pour connaître un sommet à l'époque de la crise de la société hébraïque du deuxième Temple et continuer tout au long de la période durant laquelle se constitue le Talmud (jusqu'au VIIe siècle).1 C'est donc une très large période que couvre le Talmud et il faut préciser qu'il commence bien avant la date première de sa rédaction. C'est toute la Thora orale, qui c'est transmise des siècles durant sous cette forme strictement orale qui co! nstituera, une fois écrite, le Talmud.

Cela fait que certaines des paroles qui y sont rapporté date d'avant l'événement Jésus, d'autre sont contemporaine particulièrement les paroles du grand Hillel et plusieurs sont postérieur parfois de quelques siècles. Précisons aussi que nous nous trouvons là dans la tradition pharisienne2 qui donnera sens et vie au judaïsme moderne suite à la destruction du Temple.

C'est dans le Talmud que prend forme la notion du Messie. L'attente messianique qu'on y trouve est très fortement marquée par l'idée des souffrances de l'ère du Messie qui doivent précéder l'action de celui-ci. on trouve plusieurs opinions de ce que seront ces souffrances, en voici un exemple:

Baraïtha: Selon R. Nehémie, dans la génération de l'arrivée du Messie, l'arrogance augmentera, les valeurs seront perverties, la vigne donnera son fruit et néanmoins le vin sera cher, le gouvernement tout entier tournera à l'hérésie, aucun avertissement ne sera pris en considération. (...) Car l'Éternel prendra parti pour son peuple, pour ses serviteurs il redeviendra propice, lorsqu'il les verra à bout de forces, sans appui et sans ressources. (Deu 32, 36)3

Ainsi le Messie ne viendra que lorsque le peuple sera à bout, mais on trouve également un autre point de vue, c'est que la venue du Messie doit être précédée par un épanouissement moral de l'humanité: R. Hama, le fils de R. Hanina, a dit: Le Fils de David ne viendra que lorsqu'il n'y aura plus en Israël la moindre trace de tyrannie.4 Cette opposition typiquement talmudique nous met dans l'atmosphère pour aborder un passage très significatif:

Selon Ré Eliezer, Israël n'obtiendra la délivrance que s'il se repent. R. Josué lui a dit: si Israël ne se repend pas, il ne sera pas délivré, mais alors le Saint béni soit-il, lui suscitera un roi dont les décrets seront aussi cruels que ceux d'Aman, si bien que les israélites seront ramenés dans la voie du bien. Il y a une autre baraïtha, selon laquelle r. Eliezer disait: Si le peuple d'Israël se repent, il sera délivré, car il est dit revenez, enfants rebelles, je guérirai vos égarements (Jér. 3, 22). Cependant, remarqua R. Josué, un autre texte dit Gratuitement vous avez été vendus, et sans dépense d'argent vous serez rachetés (Is 52, 3); gratuitement vus avez été vendu: en adorant les idoles; Et sans dépense d'argent vous serez rachetés: ce n'est pas grâce au repentir ou aux bonnes a! ctions que vous serez rachetés. Réponse de R. Éliezer à R. Josué: Mais il est dit Revenez à moi et je reviendrai à vous (Mal. 3, 7). (...) R. Josué : Mais n'est-il pas dit j'entends le personnage vêtu de lin et placé en amont des eaux du fleuve, il a levé la main droite et la main gauche et a juré par Celui qui vit éternellement qu'au bout d'un temps, de deux temps et d'un demi-temps, quand la puissance du peuple saint sera entièrement brisée, tous ces événements s'accompliraient (Dan 12, 7) R. Éliezer garda silence.5

Toute la discussion tient entre une attente messianique dépendante d'une action humaine, vision mystique accordant pouvoir à l'homme d'avoir une action théurgique; et la venue d'un messie qui soit gratuite. Les deux rabbis découvrent un lieu de rencontre justement dans le fait le Messie ne viendra que lorsque le peuple sera à bout, 'brisé'! Nous reprendrons cet élément plus loin.

Il est bien dommage que l'on ne puisse distinguer, dans le foisonnement de pensées du Talmud, les notions qui étaient présente avant Jésus de Nazareth et ce qui c'est développé ensuite. Qui a influencé qui? Et dans quelle mesure les éléments communs d'évolution sont dus au contexte socio-historique de cette époque? Il semble impossible d'éclairer complètement ces zones floues, mais essayons du moins d'en sortir quelques repères.

Avec le Talmud, nous découvrons d'autres éléments. La notion importante des souffrances de l'ère messianique qui peut se trouver en continuité avec les textes des prophètes qui voient dans la venu du roi libérateur la fin des souffrances, mais nous avons tout de même une notion très nouvelle dans le fait de voir des souffrances intimement liées à la venue du Messie.

On trouve aussi avec le Talmud l'apparition de deux opinions que nous n'avons pas vue dans les extraits et selon la première desquelles avec la venue du Messie il y aura un monde totalement nouveau dans un grand événement eschatologique et cosmique, une terre nouvelle et le temple descendants du ciel. C'est la position du mysticisme naissance à cette époque dans le judaïsme. Cette position est bien sur fortement influencé par la destruction du Temple.

L'autre position affirme qu'il n'y aura rien de changé dans le monde en dehors de la paix entre les nations ou celles-ci respecterons Israël et adorerons le vrai Dieu. Nous nous situons alors dans la perspective de Messie-Roi mais déjà la notion de la royauté de celui-ci a évolué, il ne s'agit plus ici de vaincre les nations mais d'Atteindre al paix avec elles. Changements qui pourraient fort bien avoir sa source dans l'exil ou le peuple d'Israël est alors plongé. Dans un cas comme dans l'autre, cela nous permet de placer l'affermissement de ces idées après l'événement Jésus-Christ mais pas leurs apparitions comme tel cependant puisque l'on trouve des échos des deux dans les textes même du Nouveau Testament.

La rencontre du monde grec amène également le développement de la notion théurgique des actes humains qui sera source, dans le judaïsme, de très grand développement de la notion de la dignité et de la responsabilité humaine. Parallèlement on trouve encore quelques mention d'un messianisme sans Messie! L'accent est davantage mis sur l'ère messianique, sur ce qui se passera, sur ce que les hommes ont ou non à faire en vue de sa venue et sur l'Attente en soi de celle-ci, plus que sur le Messie lui-même.

Face au Christianisme dans tout cela, on peut dire que les deux formes de messianisme prennent alors le chemin de leur différenciation propre, pareillement influencé par le contexte de l'époque et ayant plus tendance à développer leurs particularités. Si le messianisme Chrétien est évidemment sou l'influence du messianisme juif d'où il a pris naissance, on ne distingue pas encore de manière sur d'influence en sens opposé. Il est encore difficile de voir, car trop proche, dans quelle mesure le messianisme juif s'est particularisé en réaction à l'annonce de Jésus comme Messie. Celle-ci est possible mais demeure floue. Il est fort probable qu'elle est influencée au niveau de la faible importance du Messie en lui-même tout comme du développement de la mystique et la notion de la paix possible avec les nations.

Pendant cette période, la notion de Messie chez les chrétiens prend un tournant décisif avec le concile de Nicée (325) ou Jésus-Christ est proclamé consubstantiel au Père, consacrant par-là le fondement de la foi chrétienne mais aussi une différence irréconciliable entre les deux notions de Messie. À partir de ce moment, la théologie chrétienne s'élaborera et prendre une forme nettement plus spéculative. Du messianisme on passera à la christologie.

 

Avant Nicée, la théologie est davantage "économique", suivant les dispositions historiques, dans le temps, donc plus biblique (voir Irénée) ; après Nicée la théologie est plus essentialiste, spéculative, grecque, descendante. Dans la théologie post-nicéenne, ta philosophie entre davantage, elle impose sa forme et ses termes, l'influence juive est gommée, le thème messianique est moins central. Dans la théologie anténicéenne, on débat beaucoup avec le judaïsme, sur le Messie en particulier, selon les Écritures (Justin, Tertullien), pas toujours avec une parfaite bonne foi ; dans la théologie d'après Nicée on discute beaucoup moins avec le judaïsme, on en tient beaucoup moins compte, on l'allégorise. La théologie chrétienne décolle du messianisme.6

 

 

 

 

1 Shmuel Trigano, Les deux Messies d'Israël, In: Figure du Messie, In Press, 1997

2 Il importe de préciser que la tradition pharisienne est celle qui est le plus proche des paroles de l'évangile, de la pensée chrétienne. Il ne faut pas confondre avec l'aspect péjoratif qui nous reste trop souvent en raison des reproches que Jésus adresse à certains pharisiens de son temps. Lui-même enseigne selon cette tradition! Au fond, s'il peut leur parler si durement, c'est qu'il est un peu de leur coté.

3 Talmud, traité Sanhédrin

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Jean-Claude Eslin, Approche du Messie chrétien le Fils de l'homme, In: Figures du Messie, In Press, 1997